(LIBRE) retour au calme.

[retour au calme.]

tous les après-midis, à travers la vitrine embuée satine assiste au même spectacle : de l’autre côté de la rue, une cloche grave retentie. ce sont les élèves du primaire qui sortent en premier. accompagnés de leurs parents, quelques-uns entrent dans le café. l’orage, la pluie, le froid remplissent les tables du little delights à l’heure où les plus jeunes étudiants sont transbordés. la salle s’emplie alors d’une odeur de chocolat et de biscuits chauds ; mais marchant entre les allées, ce sont les bribes d’anecdotes qui enivrent véritablement satine. et devant ses yeux se met à danser tout le bestiaire du folklore écolier. c’est cette effervescence, cette douceur humaine qui rend la routine de ce job plus douce, agréable même. si la plupart des tables sont occupées par les mêmes personnes que les jours précédents et qu’aujourd’hui encore elles commanderont les mêmes boissons, les poésies qu’ils inventent sont toujours différentes. satine se dit que c’est ça la disposition des humains : cette forme de naïveté qui laisse tant d’espace à l’imagination. elle est fière de pouvoir assister à ce spectacle, et les conditions auxquelles elle doit se contraindre semblent alors si vaines qu’elle les exécute avec même un léger entrain. quand bien même elle doit recommencer trois fois le dauphin en cacao au-dessus du chocolat de l’aînée assise à la huit, si elle peut entendre les fantaisies de ses cadettes.
et pour satine, ce rush qui durera presque deux heures, est une forme de repos : l’esprit, occupé par les commandes qui s’entassent, les exclamations lyriques qu’elle perçoit font qu’elle ne pense plus au reste. alors l’amertume qui semble régir sa vie depuis quelques temps ne lui sert plus la gorge, le trou béant et inexpliqué dans sa poitrine semble réduire. et lorsque la plupart ont mis les voiles, c’est une forme de nostalgie que satine ressent. elle sait qu’elle devra attendre demain, le son de cloche pour pouvoir se sentir à nouveau baladée par cette vague vivace. bientôt, son service se finira.
une seule table est encore occupée, satine s’en approche une part de tarte à la main. puisque le chaos ne vous a pas fait fuir tenez. c’est la seule qu’ils aient laissé…, elle sourit, la pose en face du client. je peux vous apporter autre chose ?

Carlotta ne sort pas aux heures de pointe. Pas dans des endroits bondés. C'est trop brouillon. Trop lourd à supporter. Sa télépathie a vite fait de lui vriller tête et de la transformer en gruyère. Mais quand Sol, sa fille de trois ans, lui a sorti ses grands yeux de chat potté en mentionnant le-café-qui-fait-des-gâteaux-oursons, eh bien... Elle n'a pas trouvé le courage de refuser. Il faut dire que sa femme a aussi été très convaincante, quand elle a menacé de l'écharper mentalement si Carlotta osait n'est-ce qu'émettre la possibilité d'un refus. Bref.

Elle est assise dans ce café. Avec sa fille de trois ans qui s'émerveille de tous les passages de ces grands enfants, qu'elle admire comme tout gamin en admirerait un plus âgé. Heureusement, elle n'est pas là qu'avec sa fille, non. Elle a aussi trois cachets réduits en poudre dans les narines. Rien d'illégal. Enfin, si, d'accord, ce sont des médicaments non prescrits. Disons rien de dur. Avec ses lunettes de soleil sur le nez (très crédible, vue la météo), personne ne remarque l'état de ses yeux, de toute façon.

Alors malgré le brouhaha écolier, Carlotta profite du silence. De sa tête.

Elle ne remarque quasiment pas les minutes, puis les heures qui s'égrainent. En fait, elle ne remarque même pas la salle qui se vide. Elle ne remarque rien. Rien jusqu'à ce que les effets médicamenteux s'estompent progressivement et qu'une voix l'interpelle pour définitivement mettre fin à son errance personnelle.

Un morceau de tarte. C'est gentil.
Immédiatement, son esprit va vers Sol. Sol adore la tarte.
Et Sol n'est plus là.

¡ Carajo ! La voila qui jure intérieurement. On atteint un stade critique de ce que Carlotta est capable de supporter en une journée. Et toujours le silence. Pas de jolies licornes pensées par Sol. Rien, en fait. Toujours rien.

Elle tire un sourire contrit à la serveuse et répond à sa question à rebours, une bonne minute en retard. Ses sourcils se froncent alors qu'elle plisse des yeux pour mieux dessiner sa silhouette dans la pénombre de ses lunettes de soleil. C'est une fée. Elle le sent. Elles se sentent entre elles.

« Non merci. »

Elle retire ses lunettes de soleil pour mieux y voir, et se lève, l'air clairement d'être à la recherche de quelque chose. Ou quelqu'un.

« Vous n'auriez pas vu une petite fille sortir ? Haute comme ça, cheveux bruns, un peu mes yeux... Indique-t-elle avec ses mains. »

Si ça se trouve Sol est juste allée aux toilettes.
Oui. Et si ça se trouve Sol s'est faite kidnapper par deux vieux prédateurs.

Carlotta se masse le front, visiblement plus contrariée que paniquée.

« Tu n'as pas quelque chose pour la retrouver ? »

Quelque chose de féérique, on s'entend. Elle se permet, étant donné qu'il n'y a plus personne.
Au passage, le vouvoiement est passé à la trappe. Pas le temps pour le respect, hein.