(nas/veda) slow dancing in the dark.

[veda&nas]--
More than fun, you're the sanctuary
'Cause what you want is what I want
Sincerity
Souls that dream alone lie awake
I'll give you somethin' so real
@joji, sanctuary.
@"veda shah"



Nas envoya le message le coeur battant et les tempes bourdonnantes. Comme tout sms impulsif, il le regretta à la seconde où il appuya sur ‘send’ et passa trois minutes paniquées sur Google, cherchant désespérément comment annuler l’envoi d’un message malencontreux mais aucun des forums qu’il survola ne lui donna la réponse, pas plus qu’il ne trouva du réconfort dans les messages affolés des internautes qui cherchaient, comme lui, à revenir sur leurs pas. Aucune de leurs explications ne faisait écho à sa propre situation, et comment l’auraient-elles pu ? Qui, à part lui, craignait d’envoyer un message à sa propre femme ? Qui se mariait à une presque inconnue - half spite, half hope - pour ensuite passer les premiers mois du mariage à souffler le chaud et le froid, un pas en avant, deux pas en arrière, sans réfléchir, sans vouloir y réfléchir, en vérité ? Qui était aussi indigne du serment qu’il avait pourtant prêté devant famille et amis à une femme qui méritait bien mieux que ses mensonges ?
Ça ne pouvait plus durer, il le savait. Il ne pouvait pas continuer à traiter ce mariage comme un compartiment fermé de sa vie quand c’était sa vie. Sa vie, à lui, celle qu’il avait choisie aux côtés de Veda. Celle qui l’avait toujours attendue, au final, qu’il le veuille ou non, ce qu’on avait prévu pour lui, ce qu’il avait tenté de fuir et ce qu’il avait finalement embrassé, pleinement, lorsqu’il avait compris qu’aucune alternative n’était possible. Il était une fée et le sang de ses ancêtres réclamait son dû ; il avait été futile de vouloir se dérober au cycle de leur survie. Tout l’avait donc mené là, à ce soir glacial de janvier, lorsqu’il était sorti de l’hôpital plus tôt que prévu et qu’une une infirmière lui avait demandé s’il était déjà passé au Winter Village de la ville. Non, avait Nas répondu d’un air absent, l’idée se formant lentement à l’arrière de son esprit sans qu’il n’en ait conscience. La minute d’après, il envoyait ce message sans être totalement sûr que ce soit de son fait. Sans être sûr de la réponse non plus, et pourtant, quelques minutes plus tard, le nom de Veda s’afficha sur l’écran. Ok, see you there in 10, lui avait-elle répondu. Nas fixa l’écran, agrippé à son téléphone. Il aurait pu s’en tenir là, ranger son téléphone et commencer à marcher vers le Winter Village. Mais presque malgré lui, il tapa une réponse.
It’s a date, then. (:
Rien n’aurait pu expliquer la douceur de ces quatre mots, la tendresse qu’il ressentit en les écrivant, la tiédeur qui se diffusa en lui. Rien, si ce n’est la certitude que c’était, quelque part, quelque chose qu’il avait toujours voulu faire sans jamais en avoir la possibilité. Avec Grey… Avec Grey, ça aurait été impensable. S’interdire ce vocabulaire avait été une souffrance que Nas avait encaissé en silence. Il avait longtemps cru que ça en valait la peine. Mais maintenant qu’il pouvait l’utiliser avec Veda, tous ces mots s’échappaient de lui pour rattraper le temps perdu - et Nas réalisait que leur utilisation n’était pas quantifiable, ni limitée. La douceur attirait la douceur.
Il arriva au Winter Village en cinq minutes ; l’endroit était bondé de familles et d’enfants. Il reconnut quelques fées de sa Maison mais se détourna dès qu’il le put et repéra un chalet qui vendait du vin chaud. Nas s’en approcha et hésita : il ne savait pas si Veda aimait ça, mais de quoi aurait-il l’air si elle arrivait et qu’il n’avait rien commandé pour elle ? Au pire, il le boirait pour elle et l’alcool lui donnerait peut-être le courage qui semblait toujours lui manquer lorsqu’il se retrouvait en sa présence.
On lui tendit les gobelets et ce fut au moment où Nas se retourna pour à nouveau balayer le Winter Village du regard qu’il la vit, à quelques mètres de là. Veda. Il repéra ses longs cheveux bruns, la douceur de son profil et avança vers elle sans y penser, levant légèrement les bras pour qu’elle le remarque. « Veda ! » lança-t-il, un peu fort pour attirer son attention. Leurs regards se croisèrent et il s’approcha de la fée du Crépuscule. « Veda. Hey. » dit-il, la voix douce, un sourire un peu incrédule accroché aux lèvres comme s’il croyait à peine au fait qu’ils soient là, tous les deux, mari et femme. Il la contempla une minute, juste assez longtemps pour que ce ne soit pas étrange et se pencha légèrement vers elle, hésitant, prudent, pour déposer un baiser au coin de ses lèvres. Le parfum de sa femme - sa femme ! - eut l’effet d’une caresse sur sa peau et il regretta presque de ne pas se montrer plus audacieux. Chaque chose en son temps, sans doute ; peut-être que certains gestes viendraient au fil des années, des décennies, même. Avec Grey—
Il stoppa la pensée avant même qu’elle ait pu totalement se former. Il n’y avait plus d’avec Grey. En fait, il n’y en avait jamais eu. Ils n’avaient jamais été ensemble. Il avait plus appris en trois mois de mariage arrangé qu’en dix-sept ans de secret ; avec la fée de l’Aurore, qu’avait-il été si ce n’est le moyen jetable à une fin ? Avec Veda, il était la moitié de quelque chose. Avec Veda, ça, ça avait du sens, ça prenait corps et vie, ça s’ancrait dans la réalité. N’était-ce pas ce qu’il avait toujours voulu ? Nas se redressa, se racla la gorge et tendit le gobelet à son épouse. « Tiens, c’est pour toi. Je ne savais pas si tu aimais alors… » expliqua-t-il, le front soudain soucieux. Il se mordit nerveusement la lèvre puis regarda autour de lui. En réalité, il n’avait aucune idée de ce qu’offrait le Winter Village. Une patinoire, peut-être ? Il reporta son attention sur Veda et sourit à nouveau, toujours timide, toujours hésitant. « Tu… Tu as passé une bonne journée ? » Commencer par l’essentiel. Le reste viendrait.

veda & nas / winter village

when I'm around slow dancing in the dark
don't follow me, you'll end up in my arms
@naseer shah

Ok, see you there in 10. La réponse lui était venue spontanément, sans accorder d'arrière-pensée à la proposition de Nas malgré les battements de son coeur s'accélérant légèrement à l'idée. C'était toujours comme ça, depuis qu'elle glissait chaque matin l'alliance autour de son annulaire. Veda ne savait rien de la vie de femme mariée, ne savait pas ce qu'il convenait de faire, ou de dire, mais elle s'était rapidement rassurée en constatant que Naseer n'était pas plus expert qu'elle en la matière. Ils avaient tout à apprendre à deux, tout à faire ensemble, se guidant l'un l'autre dans ce voyage inconnu scellant leurs destins pour les décennies à venir. Nas se montrait bien plus lent qu'elle dans cet apprentissage, n'avait-elle pu s'empêcher de constater tout en regrettant de ne pas faire preuve d'un peu plus d'indulgence au vu des circonstances, mais chaque fois qu'il glissait dans ce rôle d'époux, chaque fois qu'il la couvait d'un regard tendre, ou faisait preuve de spontanéité, elle sentait les doutes s'effacer. Elle avait fait le bon choix. Le seul choix, à vrai dire. Il n'y avait pas eu d'alternative, et elle n'en avait pas cherché, se contentant d'accepter ce que la providence avait placé sur son chemin. Tant pis s'il fallait prendre le temps de se chercher après, plutôt qu'avant, tant pis s'ils devaient redoubler d'efforts pour bâtir leur mariage, une pierre après l'autre.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre son mari (elle peinait encore à s'y habituer) au coeur d'un Winter Village particulièrement animé. Ses iris balayèrent la foule, à la recherche de Nas, avant qu'une voix ne l'interpelle et qu'elle croise son regard. Instinctivement, un sourire étira ses lèvres tandis que ses yeux se paraient d'un éclat de malice au moment de le rejoindre. « Hey » elle se contenta de répondre, acceptant son baiser au coin des lèvres avec un rien de regret. Parfois (souvent) elle se surprenait à vouloir plus de lui sans savoir comment l'obtenir, encore moins comment le demander. Elle ne voulait pas être trop impatiente, ou précipiter les choses, au prétexte qu'ils s'étaient passés la bague au doigt trois mois plus tôt. Ils se connaissaient à peine, s'efforçait-elle de se rappeler comme s'il s'agissait-là de la seule justification nécessaire à cette pudeur entre eux. Elle prit le verre de vin chaud qu'il lui tendait et lui offrit un nouveau sourire de remerciement. « Je crois pas en avoir déjà bu » admit-elle spontanément. Elle ne croyait pas avoir même déjà passé du temps dans un marché d'hiver, raison pour laquelle elle prit le temps d'apprécier le spectacle autour d'elle. Des couples, des enfants, des stands dont les parfums se frayaient un chemin jusqu'à ses narines ; les odeurs de pâtisseries et d'épices se mélangeaient, étrangement moins écoeurantes qu'elles n'étaient appétissantes. Veda avait déjà repéré un stand de décorations faites main, pour la plupart autour de la thématique de l'hiver. Des globes de neige, des peintures sur bois, des guirlandes lumineuses, et son esprit s'emballait déjà sur ce qu'elle pourrait en tirer pour un projet de home staging qui avait atterri sur son bureau pas plus tard que le matin même. Elle avala une gorgée de vin chaud, appréciant la tiédeur du liquide face au froid de l'hiver. « C'est... plutôt bon » elle affirma auprès de Nas, dont elle sentait le regard inquisiteur sur elle. Pas forcément ce qu'elle préférait - rien ne l'emballait plus que la perspective d'un bon vin rouge en fin de journée - mais parfaitement adapté à leur environnement. Elle acquiesça doucement à sa question. « Elle s'est améliorée quand j'ai reçu ton message » avoua-t-elle sans honte. Parce que c'était le genre d'activités auxquelles ils livraient peu - trop peu à son goût, sans qu'elle n'ait jamais l'initiative de les proposer pour autant. Dans son esprit, un peu vieux jeu en la matière, elle voulait qu'il soit le premier à le faire ne serait-ce que pour la rassurer sur ses intentions. Nas, il lui avait toujours semblé un peu distant sans qu'elle ne parvienne à s'expliquer pourquoi elle avait cette impression. Peut-être parce qu'ils étaient radicalement opposés, dans tout, tout ce qui comptait du moins, peut-être parce qu'il était davantage réservé et mettait simplement plus de temps à s'ouvrir à elle ; elle n'en était pas tout à fait sûre. Alors elle se réjouissait chaque fois qu'il lui proposait de faire une activité qu'elle rattachait à des activités de couple. Se promener au milieu du village d'hiver tous les deux devait sûrement cocher l'une de ces fameuses cases qui rendrait leur couple un peu plus réel. « J'étais un peu surprise de la proposition, mais je suis contente que tu m'aies envoyé ce message. » Elle laissa entrevoir un sourire rempli de tendresse avant d'attraper la main de Nas et entrelacer ses doigts avec les siens. C'était facile, pour elle, d'initier ces gestes qui auraient du être banals entre eux et elle les provoquait délibérément pour cette seule raison : pour qu'ils deviennent banals, comme une seconde nature, sans jamais provoquer cet instant de latence, mélange de gêne et de satisfaction entre eux. « J'ai vu qu'il y avait une patinoire, t'en as déjà fait ? » L'une de ces innombrables questions auxquelles elle n'avait pas de réponse préalable, parce qu'ils ne savaient quasiment rien de l'autre et devaient tout apprendre au quotidien, une question après l'autre. « Ce serait sympa qu'on y aille, non ? » elle suggéra, ancrant son regard dans le sien comme pour chercher son approbation. Sans se risquer à le lui dire, elle songea que c'était de ce genre de moments dont ils avaient besoin, au-delà de l'intimité physique qui leur manquait encore et qu'elle aurait pourtant imaginé être le premier pas qu'ils franchiraient : ils se construisaient des souvenirs auxquels se raccrocher, des souvenirs qui n'appartiendraient qu'à eux, à leur couple, à leur vie ensemble qui commençait à prendre forme malgré les quelques balbutiements qui ponctuaient ce chemin.

C’était si simple, avec Veda, malgré tout. Non, il ne savait pas encore danser avec elle ; non, il ne savait pas encore tout ce que ses regards ou ses sourires signifiaient comme il avait été capable de le faire avec Grey. Mais comment pouvait-il les comparer ? Avec l’un, il avait eu dix-sept ans de pratique, dans l’urgence, l’obscurité, l’intimité que seul un amour de l’ombre pouvait offrir. Avec l’autre, il vivait en pleine lumière et c’était une façon différente de faire les choses. Une façon dont Nas n’avait pas l’habitude et qu’il trouvait pourtant presque instinctive, comme si quelque part il avait toujours été prêt pour vivre, pour aimer de cette façon. Elle s’est améliorée quand j’ai reçu ton message. Pris de court, Nas plongea le nez dans son gobelet de vin chaud mais la chaleur qui embrasa ses joues n’avait rien à voir avec le breuvage alcoolisé qu’il termina d’un trait. Veda le prenait constamment par surprise : sa douceur, son honnêteté, cette tendre brutalité qu’elle lui imposait. Était-il capable de lui rendre autant ? « Je suis content de te l’avoir envoyé aussi. » confessa-t-il d’une voix douce en relevant les yeux vers elle, et se tut lorsqu’elle entremêla leurs doigts. Interdit, Nas considéra le lien formé entre eux par leurs mains entrelacées. Il n’avait jamais eu ça. Avec personne. Pas même avec l’homme qu’il avait aimé comme un fou, sans espoir. Il chassa Grey de son esprit, conscient qu’il n’aurait pas d’autre chose de subir les assauts répétés de ses propres souvenirs et insécurités. Mais pour le moment, il était prêt à suivre Veda n’importe où tant qu’elle l’emmenait loin de la fée de l’Aurore. « Sympa, je ne sais pas. Hilarant pour toi, ça, oui, mais je veux bien te faire ce plaisir. » répondit-il avec un sourire presque canaille. C’était ce qu’il avait toujours voulu d’un couple. « Allons-y. » acquiesça-t-il, et il l’entraîna doucement à sa suite, vers le petit complexe de la patinoire. Ils entrèrent dans le préfabriqué où se pressaient une petite dizaine de personnes et Nas, la main toujours dans celle de sa femme, s’approcha du comptoir. « Deux paires de patin, s’il vous plaît. » fit-il en tendant un billet. Celui-ci lui donna deux tickets, un pour Veda et un pour lui, à échanger contre une paire de patins. For women, it’s this way, fit le gamin en désignant une guérite située à quelques mètres de là d’un coup de pouce derrière son épaule. For men, it’s here, rajouta le garçon en tapotant le bande de bois qui les séparait. Nas s tourna vers Veda et lui donna le ticket. « Tiens, tu peux aller choisir ta paire là-bas. » indiqua-t-il avec un sourire tandis que le commis lui tendait sa propre paire, ayant visiblement estimé sa pointure d’un coup d’oeil vif et perspicace. Peut-être était-ce une fée de la Lune dotée d’une disposition lui permettant de deviner les proportions de toute personne. Ça n’aurait pas été le point le plus étrange de la soirée. « À tout de suite sur le ring. » plaisanta Nas en agitant ses patins. Avant qu’elle ne s’éloigne un instant, Nas fut presque tenté de la retenir pour déposer un baiser - léger - sur ses lèvres mais il n’en eut pas le réflexe. Chaque chose en son temps, songea-t-il en la regardant gagner le comptoir des patins. Ça viendrait. Ils n’avaient pas le choix, ni l’un ni l’autre : les fées du Crépuscule se faisaient rares ; de plus en plus, elles choisissaient l’exil, le mariage inter-Maison avec les conséquences que cela entraînait, ou dans les cas les plus inexplicables (l’étaient-ils vraiment ?), la disparition. Peut-être était-ce la raison de ses amitiés cherchées vers la Comète ; chez le Crépuscule, un lien n’avait de valeur que le temps qu’une fée voulait bien lui donner. Vivaient-ils tous avec un compte à rebours dans les veines, une bombe à retardement enclenchée vers la folie qui rendait dès lors toute relation caduque, à durée limitée ? Et si c’était le cas, combien de temps possédait-il encore avant que ce qui faisait de lui ce qu’il était ne le détruise ? Le temps. Il en avait déjà perdu suffisamment. (Mais pouvait-il considérer toutes ces années comme perdues ? Pouvait-il sincèrement retirer leur importance à ces moments volés à des règles sensées être immuables ? Nas aurait voulu pouvoir être aussi catégorique.)
Un coup de coude innocent, asséné par un gamin excité, le sortit de ses pensées. Nas considéra les patins à glace et s’assit sur un banc pour retirer ses chaussures et les enfiler. Il se sentit ridicule en se levant, son équilibre remis en question par la démarche de canard infligée par les patins. Et pourtant, n’était-ce tout le but de cette mise en scène ? Le mariage, n’était-ce pas ça, pouvoir être vulnérable, ridicule, risible en toute intimité, en toute protection ? Sous le regard de Veda, jamais il ne se sentait jugé. Il ne savait pas ce qu’elle lisait, ce qu’elle voyait de lui ; la seule certitude, c’est qu’il ne craignait pas de laisser échapper qui lui avaient été refusés pendant si longtemps. Ces mots qu’il aurait voulu adresser à un autre, ces mots auxquels il espérait pouvoir insuffler, un jour, la même sincérité, la même vérité que ce qu’il éprouvait pour Grey.
Il rangea ses chaussures dans le petit casier sous le banc et se déplaça maladroitement vers l’entrée de la patinoire, sur laquelle quelques patineurs plus ou moins aguerris glissaient déjà. Prudent, Nas fit un pas sur la glace mais resta fermement agrippé à la barrière. Lentement, et de façon complètement dépourvue de grâce et de confiance, il progressa encore pendant quelques mètres et finit par s’arrêter contre la rambarde. Là, il s’assura d’être calé correctement et reporta son attention sur l’entrée de la patinoire. Finalement, il finit par repérer Veda et leva les bras pour attirer son attention. « Veda ! » Prononcer le prénom de sa femme aussi spontanément libérait la poitrine de Nas de l’impression d’avoir eu une enclume posée sur le coeur pendant trop longtemps. Pourquoi avait-il fallu attendre si longtemps ? (Pourquoi attendait-il toujours ?) « Hey, ne triche pas. Pas de rambarde. C’était ton idée. » lança-t-il assez fort, pour qu’elle l’entende, avec un sourire, la défiant gentiment du regard. Et pour l’encourager à le rejoindre, il tendit les deux mains vers elle. Viens vers moi.

Naseer ne ressemblait en rien aux hommes qu'elle avait eu l'habitude de fréquenter. Elle les avait toujours aimés passionnés, sanguins, probablement trop inaccessibles pour son bien. Peut-être était-ce pour ça qu'elle n'avait opposé aucune protestation quand l'idée avait été mise sur la table. Veda, elle avait souvent rêvé de l'histoire d'amour avec un grand A, de l'âme soeur qui renverserait son coeur sans crier garde, mais la réalité n'avait jamais manqué de lui opposer ce fantasme avec le concret de relations vouées à l'échec. Naseer... Naseer était différent. Elle n'avait pas ressenti en le voyant les papillons dans le ventre, pas même lors de leur mariage, mais elle s'était surprise à vouloir donner une chance à cette relation, à oeuvrer pour que les papillons finissent par apparaître avec le temps et l'intimité de leur couple. Leur sortie au Winter Village était l'une de ces innombrables étapes, idéale pour créer la complicité qui leur manquait encore, pour transformer l'attirance en quelque chose de plus sincère et profond. La surprise de l'invitation passée, elle avait embrassé à son tour l'idée, l'idéalisant sans doute plus qu'elle ne l'aurait du peut-être parce qu'elle était de ces gestes rares que Nas avait envers elle. Un sourire étira ses lèvres à sa réponse et elle se contenta d'acquiescer doucement, suivant le regard de son mari vers leurs mains entrelacées. Si elle sentit une nouvelle fois ce moment de latence entre eux, elle n'en montra rien et lui offrir un nouveau sourire chaleureux, ainsi qu'une proposition à se lancer sur la patinoire. « C'est peut-être toi qui vas mourir de rire en me voyant tenter de rester debout » elle le contredit, amusée par l'idée. Elle ne se rappelait pas en avoir jamais fait, ou bien lorsqu'elle était si jeune qu'elle aurait tout aussi bien pu repartir de zéro. L'activité n'avait aucune importance, dans le fond, Veda souhaitait seulement rendre leur date à rebours mémorable, leur créer des souvenirs qu'ils rattacheraient toujours à leur mariage et à l'autre. Ils prirent la direction de la patinoire, et elle laissa son mari prendre les rênes et la guider - ce qu'il ne faisait que rarement, ne put-elle s'empêcher de noter avec regret. Elle hocha la tête lorsqu'il lui indiqua la guérite et répondit d'un doux « à tout de suite » avant de s'éloigner de lui. En quelques minutes à peine, elle avait enfilé la paire de patins adéquate, tentant d'apercevoir côté hommes la silhouette de Naseer avant d'abandonner l'initiative face à la foule. Elle se releva tant bien que mal, rangea ses chaussures dans un casier et prit la direction de la glace. Ses premiers pas furent... maladroits, hésitants même, un trait de caractère qu'on ne lui connaissait que trop peu. Veda préférait le sol ferme, la stabilité – l'ironie ne manqua pas de la saisir – mais inspira profondément avant de se raccrocher à la rambarde pour avancer dans un premier tour, le temps de retrouver Nas. Son regard s'arrêta sur une famille, intriguée par l'éclat de rire d'une enfant haute comme trois pommes et nettement plus à l'aise qu'elle sur ses patins. Un sourire naquit sur ses lèvres, de ces sourires à la fois heureux et tristes. Connaîtraient-ils cette vie-là un jour ? Etait-ce seulement ce que désirait Naseer ? Il lui semblait parfois si difficile à sonder, sans qu'elle soit certaine que leur mariage précipité en soit la seule raison. Ils n'étaient pas amoureux, pas encore du moins, et la perspective d'une véritable vie de famille lui apparaissait trop prématurée pour réellement regretter de ne pas la connaître, mais à voir les éclats de rire face à elle, elle se surprit à la désirer plus ardemment qu'elle ne l'avait jamais fait jusqu'à présent. Elle secoua la tête pour chasser la pensée et se remit à parcourir la glace, bon gré mal gré, un peu moins hésitante qu'à ses débuts mais toujours aussi mal assurée sur ses patins. Elle entendit son nom et reconnut son époux, la vision lui tirant un autre de ces sourires doux, avant de le rejoindre sans jamais quitter la rambarde. La dernière chose dont elle avait envie était de s'humilier devant lui – elle songea alors que la patinoire était probablement la pire idée qu'elle ait eue pour ça – mais ses dernières hésitations disparurent lorsqu'il tendit les mains vers elle pour l'intimer de le rejoindre. Son sourire s'élargit et elle lâcha la rambarde avant de lever les bras pour maintenir un semblant d'équilibre, si précaire fut-il. « On n'a jamais dit que la rambarde était de la triche, si ? » elle nota, un rien moqueuse, une fois arrivée à sa hauteur. Le freinage fut un peu brutal, et plutôt que d'attraper ses mains, elle ne ralentit qu'après lui avoir foncé dessus sans grande douceur. Si le contact l'électrisa, et qu'elle hésita à le prolonger quelques secondes de plus, elle n'en fit pourtant rien et se dégagea avec un regard d'excuse. « Si tu craignais de te ridiculiser, tu peux te rassurer : je suis probablement plus nulle que toi à ça » elle admit en riant. Naseer donnait toujours l'impression d'exceller dans tout, peut-être parce que sa réputation le précédait. Il suscitait l'envie de se surpasser lorsqu'elle se trouvait près de lui, pour l'impressionner sans doute autant que pour avoir le sentiment d'être digne de lui. Veda attrapa à nouveau l'une de ses mains, moins pour s'équilibrer que pour l'étincelle que ces infimes contacts provoquaient sans cesse, ne demandant qu'à s'embraser une fois pour toutes. « On devrait se lancer un challenge. Pour pimenter un peu notre aventure » elle proposa d'un ton malicieux. C'était comme ça qu'on la connaissait le mieux, Veda : impulsive, spontanée, mutine, capable de transformer n'importe quoi en un jeu.